Amazonie Bleue (partie 1)
Généralités
Nom officiel : République Fédérative du Brésil
Indépendance : 7 septembre 1822 Capitale : Brasília
Superficie Amazonie Bleue : 4 500 000 km²
Superficie Plateau continental : 963 000 km²
Superficie Z.E.E : 3,5 millions de km²
Superficie totale : 8 515 700 Km²
PIB : 1,61 bio eur (2021)
PNB : 1,402 bio eur (2021)
Budget dépenses militaires : 19,19 milliards USD (2021)
Dépenses militaires (% du PIB) : 1,2 % (2021)
Population : 214 326 223 (2021)
Alphabétisation, total des adultes : 94 % (de 15 ans et plus), en 2021
Ports majeurs : Belém, Itajaí, Paranaguá, Rio Grande, Rio de Janeiro, Santos, São Sebastião, Tubarão
Terminaux : DTSE/Gegua oil terminal, Ilha Grande (Gebig), Guaiba Island terminal, Guamare oil terminal
Ports à containers (TEUs): Itajaí (1 610 092), Paranaguá (1 044 157), Santos (4 442 876) (2021)
Production pétrole : 3,629,100 bbl/day (2021 est.)
Importation pétrole brut : 186,200 bbl/day (2018 est.)
Exportation pétrole brut : 1,123,300 bbl/day (2018 est.)
Production pétrole brut (pré-sel) : 1,300,000 bbl/day (2019)
Accords commerciaux : Communauté Andine, Mercosur
Affiliations : BRICS, CELAC, G20, Union Latine, OEA, ONU, UNASUR, UNESCO, OMC
Introduction
L’« Amazônia Azul » (Amazonie Bleue) est définie comme la région comprenant la surface de la mer, les eaux recouvrant les fonds marins, le sol marin et sous-sol contenu dans l'extension atlantique qui s'étend des côtes jusqu'à la limite extérieure du plateau continental brésilien. Ses 4,5 millions de km² constituent un espace de projection de puissance en Atlantique-Sud, d’intérêts commerciaux, énergétiques et stratégiques.
Comme c’est le cas pour l’Amazonie Verte, le développement de l’Amazonie Bleue participe à l’intégration nationale, à travers la découverte et l’exploitation des ressources naturelles, l’installation d’infrastructures (scientifiques, industrielles,…) et fait partie des objectifs de transformation de la défense, allant du « Prosub» au « Sistema de Gerenciamento da Amazônia Azul ».
Le 2 février 2023, le cabinet du ministre de la défense José Mucio Monteiro Filho annonce la composition d'un nouveau groupe de travail pour la réalisation du prochain Livro Branco de Defesa Nacional (LBD). Nous avons souhaité partager quelques éléments afin de nourrir notre réflexion sur les enjeux maritimes brésiliens actuels et à venir.
Repères historiques
La Marine brésilienne est créée en 1822, lors de l’indépendance du Brésil. Cependant la naissance d’une armée brésilienne en tant que réelle institution nationale remonte à la Guerre du Paraguay ou Guerre de la Triple Alliance (1864-1870), durant laquelle eut lieu la bataille navale du Riachuelo, opposant le Paraguay à l’Empire du Brésil, sur le fleuve Paraná.
Durant le première moitié du 20ème siècle, le Brésil participe à la 1ère Guerre Mondiale et patrouille sur les côtes atlantiques du Maghreb. En 1941, l’Argentine se rapproche de l’Axe. Le Brésil, qui fut un partenaire économique privilégié de l’Allemagne, décide d’exprimer une position de neutralité mais subit des offensives de charmes par les États-Unis, ces derniers souhaitant installer des bases militaires dans le Nordeste. En 1942, Getúlio Vargas (1882 – 1954), président du Brésil, déclare la guerre à l’Axe suite à l’attaque de 13 cargos brésiliens par des sous-marins U-Boat allemands. Le Brésil combat alors sur les terres européennes et dans les airs.
L’armée aura joué un rôle certain dans l’ensemble des domaines de politique intérieure durant les luttes anti-communistes. La seconde moitié du 20ème siècle est en cela marquée par un régime dictatorial par lequel les militaires accédèrent et restèrent au pouvoir durant 21 années (1964-1985). Depuis 1945, la géopolitique brésilienne est caractérisée par des nombreuses similitudes entre les politiques externes et internes.
Elles sont, selon le Livre Blanc de la Défense (2020), complémentaires et indissociables. La défense brésilienne du 20ème siècle n’a pas les moyens de ses ambitions maritimes et participe davantage au développement à l’intérieur des terres. Durant les années septante, le Brésil conçoit son statut de puissance régionale à partir d’une politique expansionniste, du développement de ses infrastructures et de sa circulation :
La politique de transport contribue à assurer la croissance et le développement économique du pays. Elle participe à la mise en place d’infrastructures mixtes capables de garantir l’occupation de tout le territoire national ; ceci permettant la libre circulation des biens et services allant de la production à l’exportation. Elle favorise l’intégration de toutes nos aires à la sécurité nationale. (Plano Nacional de Viação, 1973)
Dans le cadre du processus de « Marche vers l’Ouest », il s’agit d’occuper et d’intégrer le territoire par le développement de réseaux routiers, d’espaces hydrauliques (La Plata et l’Amazone) et de favoriser la « brésilianité » des frontières. Bien qu’il s’agisse d’une planification intérieure, cette stratégie politico-militaire « d’expansions territoriales et de consolidation des frontières stratégiques » a pour vocation (à l’extérieur) de gêner les états frontaliers, en premier lieu l’Argentine.
A titre d’exemple, le désenclavement de l’Hinterland sous le Président Kubitschek (1902-1976) fut opéré par le tracé de réseaux routiers, la construction de Brasilia et le développement du plateau central. La planification stratégique « des aires nationales brésiliennes » et des intérêts nationaux se présente en tant que réponse à la menace interne et comme un renforcement de la sécurité nationale.
La seconde moitié du 20ème siècle voit se former une pensée brésilienne du « poder maritimo ». Pour José Maria Amaral Oliveira, le pouvoir maritime se définit par : « Capacidade que tem a naçao para utilizar o mar e, quando necessario disputar, obter, exercer e ampliar o domino do mar, visando à consecuçao dos objetivos da naçao », autrement dit :
La capacité qu'a la nation d'utiliser la mer et, le cas échéant, de disputer, d'obtenir, d'exercer et d'étendre la domination sur la mer, en vue d'atteindre les objectifs de la nation.
Il va plus loin en donnant à l’espace de projection une acception plus large de ce même pouvoir maritime :
l'image même du pouvoir national projetée sur l'immense masse liquide.
Ainsi, ce pouvoir maritime s’étend, dans cette conception, à l'espace « maritime, mais aussi fluvial et lacustre ». En 1970 a lieu l'extension de la Zone Économique Exclusive du Brésil. Durant la première présidence de Lula en 2004, le Brésil revendique l'extension de ses droits économiques sur le plan maritime et l'élargissement de son plateau continental. Le concept d'Amazonie Bleue est alors forgé par l'Amiral Roberto de Guimaraes Carvalho.
Cet élargissement est souhaité depuis la fin des années 80. La découverte de réserves de pétrole dans le pré-sel encourage le développement de la marine brésilienne et réaffirme le besoin d'une défense des intérêts maritimes. En 2007, la Commission sur les Limites du Plateau Continental (CLPC) de l'ONU accorde au Brésil 81% des revendications présentées en 2004 (une extension de 965.000 km²).
Selon le Ministère de la Défense, en 2019, la CLPC a rendu public la recommandation légitimant le Brésil à incorporer 170 000 km² de superficie du plateau continental, se référant à la région du Sud, en plus de la zone économique Exclusif. Actuellement, des soumissions partielles examinées des marges équatoriales et orientales/méridionales font toujours l'objet d'un examen par le CLPC.
source image : livro branco da defesa nacional, 2020
Le Brésil revendique une Amazonie Bleue auprès de l'ONU de 5.669.512 Km2 au total. Mais comment arriver à conjuguer les multiples intérêts et à coordonner l'ensemble des acteurs sur une telle entreprise? Les organes brésiliens montrent une certaine difficulté à se coordonner. Selon Jorge Gomes do Cravo Barros et al.(2015):
Si dans le passé la Marine et l’Armée étaient les principales autorités publiques à s’occuper de la protection des ressources côtières et de la mer, les enjeux ont exigé la participation directe d’autres autorités publiques dans un effort de coordination interinstitutionnelle sans précédent.
Le travail collectif, la recherche scientifique et l’intégration politico-juridique en sont encore à leurs débuts. Ils attendent par ailleurs de Brasília des investissements colossaux, alors que l’économie nationale tourne au ralenti.
En attendant la publication du prochain Livre Blanc de la Défense Nationale, voici de quoi prendre connaissance du paysage institutionnel actuel de la Marine Brésilienne. A tire informatif, le Livre Blanc de la Défense (2020) présentait ses organes et moyens comme illustré ci-dessous :
Climat politique
De retour à la présidence du Brésil, le président Lula doit faire face à un ensemble de divisions internes et externes.
A l’intérieur du pays, cela concerne les forts soutiens à Jair Bolsonaro auprès de personnalités de l’extrême droite brésilienne au sein des armées. En effet, après avoir limogé une partie des services de renseignements (Agência Brasileira de Inteligência, ABIN), jugés « inexistants » lors de la journée du 8 janvier, l’actuel président va devoir composer avec une classe de militaires proches du milieu politique bolsonariste. Entre parenthèses, le Brésil présente une séparation nette au sein de sa population, à partir des manifestations de juin 2013 suite à la récession, des scandales de corruption et de la vague de manifestations contre Dilma Roussef.
Cette démarcation s’opère entre les électeurs du PT et les électeurs de partis de centre-droit et d’extrême droite, pour se cristalliser durant les élections de 2018 et tout au long du mandat de Jair Bolsonaro. Mais une autre séparation eut également lieu au sein du PT, sa « base » ayant manifesté une certaine déception, un sentiment d’abandon et de trahison ; voici le paysage politique avec lequel l’actuel président doit composer. Sa démarche de conciliation pourrait tenir si les miliaires ne se voient pas privés des privilèges et de l’influence qu’ils ont pu accumuler les dernières années, durant la présidence de Jair Bolsonaro.
source image : https://peoplesdispatch.org
A l’extérieur du pays, il faut prendre en compte l’ensemble de l’Amérique du sud et les Caraïbes. Dès le début des années 2000, le Brésil souhaite se présenter en tant que puissance régionale, aussi bien à travers l'importance accordée à sa défense qu'à sa présence dans les institutions internationales. En 2008, l'accord de Brasília donne naissance à l'Union des Nations Sud-Américaines (Unasur). Cette organisation comprend un organe de défense, le Conseil de Défense Sud-Américain (CDS).
Initiée par le président Cardoso (1995-2003), elle permet selon Yannick Rest(2016) : "d'affirmer le rôle du Brésil comme garant de la stabilité régionale afin d’affirmer ses aspirations internationales". Selon Philippe Genest (2009), leader sur le marché de l'armement en Amérique du Sud, le Brésil trouverait, à travers le CDS, un avantage certain dans l'élaboration d'une éventuelle standardisation des marchandises avec ses partenaires sud-américains, évitant toute dépendance vis-à-vis d'acteurs des marchés extérieurs. Le Brésil doit donc pouvoir profiter de son aura de puissance régionale pour guider l’ensemble des acteurs vers une coordination inter-étatique. Ces derniers voient venir, à partir de 2021:
l’accession massive au pouvoir des partis de gauches, pouvant être interprétée comme un nouveau « cycle idéologique » (…) une configuration entraînant pour la première fois une convergence des trois plus grands pays du continent vers des gouvernements, dans des proportions variées, anti-néolibéraux.
Néanmoins, ce virage pourrait être à relativiser, en ce qu’il manifesterait « une tendance à sortir les sortants ». Après plusieurs années de crise due aux conservatismes résurgents en Amérique du Sud, ainsi que la sortie de l'Unasur en 2019, le président Lula a annoncé le retour du Brésil dans cette organisation régionale. L'agenciabrasil a récemment exprimé que la signature du décret prendra effet le 6 mai 2023.
L'Argentine prévoit également son retour, auprès de la Bolivie, de la Guyane, du Suriname et du Venezuela.
Tout l'intérêt serait d'observer comment le Brésil va se placer dans la poursuite des questions de défenses maritimes auprès de ses partenaires sud-américains.
14 Avril 2023